dimanche 9 septembre 2018

Et si la diversité diminuait la confiance ? (rediff)

En novembre 2006, un article paru dans The Australian du 10/X/2006 sous la plume de Peter Wilson, se penchait sur les travaux du professeur Robert Putman, éminent sociologue américain, sur La diversité ethnique, source de méfiance.

Le 5 août 2007 paraissait dans The Boston Globle, sous la signature de Michael Jonas, un intéressant compte rendu des recherches de Robert Putnam sur « L’inconvénient de la diversité ».

En voici un résumé emprunté au carnet de J.C. Durbant accompagné de quelques extraits significatifs.


Immigration : « L’inconvénient de la diversité » (The downside of diversity)

Les recherches du professeur Robert Putman confirment que, contrairement aux idées reçues du politiquement correct mais en accord avec le sens commun, la diversité est loin de n’avoir que des effets heureux.

Si elle peut stimuler la créativité et la résolution de problèmes et ainsi contribuer à produire les avancées spectaculaires des grandes métropoles, elle est aussi, au départ, productrice de malaise social et de méfiance, et peut faire sérieusement baisser l’investissement social de chacun jusqu’au sein même de sa propre communauté. Laissant supposer qu’au-delà d’un certain seuil, les effets pourraient en fait s’inverser.

Même s’il est dommage que les recherches de Putnam (ou du moins le compte rendu qui en est fait) n’envisagent pas, au-delà des différences sur lesquelles tout le monde se focalise, les questions de pertes de repères ou de limites (mais qu’on retrouve nécessairement dans des zones à forte diversité) qui, on le sait depuis au moins René Girard, sont en fait les vraies sources de conflit et de tensions sociales…

Extraits de l’article :

Les inconvénients de la diversité, selon Putnam :

Plus la diversité dans une communauté est grande, moins les gens votent, moins ils sont bénévoles, moins ils donnent à des associations caritatives et moins ils travaillent à des projets communautaires.

La diversité, visiblement, nous met mal à l’aise — mais il se trouve que le malaise n’est pas toujours une mauvaise chose. Le malaise lié aux différences explique pourquoi des équipes d’ingénieurs de différentes cultures peuvent être idéalement adaptées à la résolution de problèmes difficiles. Le choc des cultures peut produire une dynamique de concessions mutuelles, produisant une solution qui aurait pu échapper à un groupe de personnes issues de milieux et d’approches plus semblables.

« Il serait regrettable qu’un progressisme politiquement correct ne tienne pas compte de la réalité du problème que pose la diversité à la solidarité sociale. Il serait tout aussi regrettable qu’un conservatisme anhistorique et ethnocentrique estime qu’il n’est ni possible ni souhaitable de traiter ce problème. »

Les communautés plus diversifiées ont tendance à s’agrandir, ont de plus grandes gammes de revenus [une moindre homogénéité des revenus], des taux de délinquance plus élevés, et plus de mobilité parmi leurs membres – tous facteurs qui pourraient réduire le capital social indépendamment de n’importe quel impact que pourrait avoir la diversité ethnique.

En ceci, Putnam remet en cause les deux écoles dominantes de la pensée sur la diversité ethnique et raciale : la théorie du « contact » et la théorie du « conflit ». Selon la théorie du contact, c’est en passant plus de temps avec des personnes d’origines différentes que l’on arrivera à plus de compréhension et d’harmonie entre les groupes. Selon la théorie du conflit, c’est cette proximité qui crée tension et discorde.

Les conclusions de Putnam rejettent les deux théories. Pour lui, dans les communautés plus diversifiées, il n’y a pas davantage de liens entre gens d’un même groupe, il n’y a pas non plus d’aggravation des tensions ethniques, mais il y a un malaise civique général. Et, ce qui est peut-être le résultat le plus étonnant, c’est que les niveaux de confiance sont plus bas non seulement entre les groupes d’ethnicités diverses, mais même entre les membres d’un même groupe.

Selon l’économiste Edward Glaeser, de Harvard, « c’est un élément important qui s’ajoute à un ensemble de données croissant relatif aux problèmes créés par la diversité. » Dans une étude récente, Glaeser et son collègue Alberto Alesina ont démontré qu’à peu près la moitié de la différence des dépenses sociales entre les États-Unis et l’Europe — l’Europe dépense bien plus — peut être attribuée à une plus grande diversité ethnique de la population américaine. Glaeser indique que cette dépense sociale nationale inférieure des États-Unis est une “macro” version de la régression de l’engagement civique constaté par Putnam dans les communautés plus diversifiées de son pays.

Dans un article de 2003, les économistes Matthew Kahn d’UCLA [Université de Californie à Los Angeles] et Dora Costa de MIT [Institut de Technologie du Massachusetts] ont analysé 15 études récentes qui, toutes, établissent un lien entre la diversité et les bas niveaux de capital social. Une plus grande diversité ethnique est liée, par exemple, à des financements moindres pour les écoles, à des taux de réponse plus faibles aux recensements et à une confiance plus limitée envers les autres. Les propres recherches de Kahn et de Costa ont relevé que les taux de désertion pendant la Guerre civile étaient plus élevés parmi des soldats de l’armée de l’Union servant dans des compagnies où les soldats étaient les plus divers du point de vue de l’âge, du métier et du lieu de naissance.

Alors, comment expliquer New York, Londres, Rio de Janeiro, Los Angeles — ces grandes villes de creuset qui conduisent les économies créatrices et financières mondiales ? L’image de cette lassitude civique qui affaiblit les communautés diversifiées ne s’accorde pas avec la vigueur souvent liée aux centres urbains, où la diversité ethnique est la plus grande [Note du carnet : Rio n'est pas une ville riche et Los Angeles s'appauvrit].

Il s’avère qu’il existe un revers au malaise que peut causer la diversité. Si la diversité ethnique, au moins à court terme, est un handicap pour les relations sociales, de nouvelles recherches suggèrent qu’elle peut être aussi un grand avantage pour ce qui est de la productivité et de l’innovation.

Pour Scott Page, chercheur en sciences politiques de l’Université du Michigan, les différentes manières de penser chez des personnes de cultures différentes peuvent, dans les cénacles de haut niveau, être une aubaine : « Puisque ces personnes voient et appréhendent le monde différemment de vous, ça vous stimule. » (…) « Mais en fréquentant des gens différents de soi, on est susceptible d’avoir plus d’idées. Les équipes diversifiées ont tendance à être plus productives. »

En d’autres termes, les membres des communautés plus diversifiées peuvent jouer plus souvent seuls au quilles, mais les tensions créatrices libérées par ces différences dans le lieu de travail peuvent propulser ces mêmes lieux à la pointe de l’économie et de la culture créatrice. [Note du carnet : nous sommes sceptiques par rapport à ce lieu commun : Los Angeles a d'abord été une ville riche très blanche avant d'être une ville très multiethnique, alors que les blancs sont devenus minoritaires à Los Angeles la ville s'est en réalité appauvrie, la classe moyenne blanche fuit la ville et même l'État pour déménager dans des États voisins.[1]]

C’est ce que Page appelle le « paradoxe de la diversité ». Il pense que les effets opposés, positifs et négatifs, de la diversité peuvent coexister dans les communautés, mais qu’ « il doit y avoir une limite ». Si l’investissement civique tombe trop bas, il est facile d’imaginer que les effets positifs de la diversité puissent tout aussi bien commencer à s’affaiblir.



[1] The Decline and Fall of California: From Decadence to Destruction, Victor Davis Hanson, 159 pages, éditions PJ Media, paru le 8 décembre 2015.

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